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C'est dur d'être aimé par des cons
Sélection officielle - Séances spéciales
France / sortie le 17.09.2008
CHARLIE S’EN VA EN GUERRE
" Mieux vaut rire avec Charlie que s'emmerder au paradis"
De la provocation au risque éditorial salutaire
C'est dur d'être aimé par des cons raconte sous la forme d'un documentaire un peu télévisuel le procès auxquels furent confrontés l'hebdomadaire Charlie Hebdo et son directeur Philippe Val peu après la publication début 2006 des fameuses caricatures de Mahomet, elles-mêmes publiées plusieurs mois auparavant dans le quotidien danois Jyllands-Posten. Drôle d'histoire que celle-là, car qui d'autre qu'un journal satirique à la provocation légendaire aurait eu la légitimité, sinon le devoir, de ce risque éditorial ? France Soiret l'Express ont, eux aussi, publiés les dessins, mais seul Charlie Hebdo a eu droit à son procès pour "injure envers un groupe de personnes en raison de sa religion". Il est vrai que, refusant de s'arrêter en si bon chemin, l'hebdomadaire prit la peine de sortir d'autres caricatures de son cru. Mais bon, c'était sans nul doute pour affiner la pertinence de l'analyse et détendre des zygomatiques contractés… quoique ?!
A la question posée, peut-on rire de tout et plus encore des religions, la ligne éditoriale du journal incriminé est limpide et répond par l'affirmative. Pour autant rien ne semble gagné en ces temps difficiles et la neutralité de point de vue étant chose mal aisée, il est normal que des réactions épidermiques surgissent çà et là au détour d'une phrase ou d'un dessin corrosif. Mais se "prendre" un procès, dont la finalité avouée est d'interdire purement et simplement une forme d'expression journalistique, relève d'une toute autre démarche et peut, quels que soient les arguments invoqués, fragiliser la liberté d'expression pourtant arrachée de haute lutte par nos illustres aînés. En prenant la défense d'une parole indépendante, de plus en plus esseulée car actant jusqu'au bout les "préceptes" de cette sacro-sainte liberté de ton, le cinéaste propose un débat d'idées qui fait trop souvent défaut au cinéma français. Alors peu importe son caractère partisan et légèrement asymétrique, son existence par l'exemple (le procès) soulève des interrogations qui doivent nous faire réfléchir sur les dangers d'un bâillonnement, même partiel, du débat d'opinion.
En suivant Charlie Hebdo dans cette aventure médiatico-judiciaire, Daniel Leconte réaffirme le principe clair qui autorise tout individu à la liberté d'opinion et d'expression et cela sans être inquiété pour ses opinions. L'enjeu principal de ce procès en sorcellerie consiste à savoir si Charlie Hebdo n'aurait pas franchi la ligne blanche du mauvais goût en stigmatisant de manière inacceptable une partie de la population se sentant, pour le coup, directement visée par les caricatures. Y aurait-il eu un excès de langage ? Une évocation, même indirecte, à la haine raciale, au dénigrement, à l'insulte gratuite et vexatoire ? C'est ce qu'estiment des instances religieuses – Mosquée de Paris, UOIF (Union des Organisations
Islamiques de France) et Ligue Islamique Mondiale – en invoquant le délit
de blasphème aggravé. Là où certains ne voient qu'un trait d'humour plus ou
moins subtil, d'autres s'indignent. Rien de plus normal, l'esprit de
consensus, même mou, est une gageure pour peu que l'on comprenne une fois
pour toute que la valeur universelle des choses dites n'existent pas en ce
bas monde. Est-ce à dire que l'humour serait à manier avec précaution et
parcimonie par crainte de mettre en danger un espace d'expression pourtant
mal en point ? Assurément pas et la cour d'appel de Paris, avisée, considéra en mars 2008 que Charlie Hebdo avait participé à un débat public d'intérêt général. Soit l'exigence de tout organe de presse, fut-il satirique.
Les deux temps du film
Pour rendre compte de la nature d'un tel évènement, Daniel Leconte scinde
son documentaire en deux parties. Temps du procès, des deux jours d'audiences mouvementées aux nombreux "invités" politiques venus témoigner en faveur du
journal, et temps a posteriori constitué d'interviews des différents protagonistes revenant sur ces deux jours de débats. Cette deuxième partie, bien qu'informative, se révèle la plus faible et
pêche par maladresse. Les intervenants (protagonistes de l'affaire, avocats,
témoins) ne font que restituer de mémoire les différentes étapes du procès
avec un air amusé, décalé et par moments acerbe. L'atmosphère de l'audience a
semble-t-il laissé un bon souvenir, mais la bonhomie de chacun amoindri
indirectement les enjeux mis sur la table. La palme revenant sans conteste à
Maître Szpiner – avocat des plaignants – s'en prenant, par une phrase
assassine, à la journaliste Caroline Fourest (Charlie Hebdo) : "Elle
s'aime tellement que si elle devait commettre un crime passionnel, elle se
suiciderait"… Drôle, assurément, mais un peu hors sujet.
De plus, l'asymétrie entre l’espace donné aux plaignants et celui accordé à Charlie Hebdo donne l’impression d'assister à un pamphlet non assumé manquant terriblement d'investigation, de recadrage ou
même d'explication. Si le désistement des représentants des différents
cultes religieux n'est pas la faute du cinéaste, quid des enjeux politiques
– malgré l'intervention au début du film de Denis Jeambar, ancien patron de
l'Express –, économiques – aucunes enquêtes -, religieux et géopolitiques ?
Des ouvertures, il y en a, offertes notamment par l'incontournable Philippe
Val. Ses propos dénoncent avec véhémence l'existence de pressions en tout
genre, les nombreuses collusions entre le pouvoir et les groupes économiques
sur les organes de presse ou encore l'incroyable silence des médias autour
de cette affaire avant le procès. Hélas, ces assertions ne dépassent jamais
le mode exclamatoire, et la dimension argumentative sur les raisons d'un tel
procès manque sacrément d'envergure. Il eu été sans doute préférable de
réussir à dépasser le microcosme Charlie Hebdo afin d'apporter une
vision plus large du sujet traité.
La démocratie est dans le couloir
Mais voilà, Daniel Leconte a eu une idée de génie. Ne pouvant pas filmer directement dans l'enceinte de la XVIIe chambre correctionnelle de Paris, il déplace sa caméra dans la salle des pas perdus où s'entasse un public venu assister au procès. Dans une ambiance bon enfant, le "peuple" débat, invective, siffle, applaudi, encourage et s'exprime dans toute la latitude d'une démocratie émancipatrice. Cette partie est passionnante car elle démontre l'importance du droit à l'expression et au débat d'idées, faisant de cette salle une caisse de résonance aux mots prononcés. Sorte de cacophonie plébéienne farouchement concernée, cette prise de parole est une bouffée d'oxygène dans un film jusque-là beaucoup trop académique. Et Daniel
Leconte de trouver son axe de lecture original où s'entrecroisent stars de
la politique et du showbiz, journalistes français et étrangers, laïcs et
croyants, de gauche comme de droite, jeunes, vieux et de toute origine.
Au final, le réalisateur réussit à porter une réflexion sur la nature et
l'existence de valeurs communes que nous devons partager afin de guider le
curseur de la liberté d'expression vers un point d'équilibre nécessaire à la
démocratie. Précaire, cette notion n'est pas sans risque (le cas Siné
démontre la difficulté de l'interprétation), mais exprime sans aucun doute la vitalité d'une société capable de rire d'elle-même.
Geoffroy
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