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Montagnes oubliées (Mang Shan)
Certain Regard
Chine
LA CAPTIVE DES MONTAGNES
"Qui ne boit pas restera vieux garçon. Et ses enfants aussi !"
Passé un premier quart d’heure assez éprouvant (notamment une scène de viol à la limite du sordide), Mang shan s’avère un film coup de poing dénonçant avec minutie et méthode la mentalité moyenâgeuse d’une certaine Chine (en l’occurrence, celle d’un petit village reculé dans les montages du Nord). Il resserre son filet autour de sa malheureuse héroïne avec ce qui pourrait presque passer pour de la perversité s’il ne s’agissait en fait d’un réalisme confondant. Chaque piste imaginée par la jeune fille pour s’enfuir est verrouillée sans pitié, rendue impossible par la force des traditions, la complicité des autorités, la solidarité masculine ou encore l’ignorance et la bêtise. On assiste alors à une véritable montée en puissance de la tension et de l’horreur au fur et à mesure que le piège se referme autour de l’héroïne. La sensation qui saisit le spectateur en réalisant l’absence d’issue de secours est vertigineuse. Bai est littéralement dépossédée de sa vie, condamnée à passer le reste de ses jours telle une prisonnière en milieu hostile, soumise au bon plaisir d’un mari qui l’a achetée comme du bétail. Le mépris dont elle est l’objet (parce qu’elle est éduquée, parce qu’elle se rebelle, parce qu’elle est femme, surtout) est révélateur de la manière dont vit cette micro-société et des valeurs qui la guident. Les hommes sont des brutes épaisses faits pour les durs travaux des champs. Les chefs et administrations ne cherchent qu’à obtenir des pots de vin. Les femmes se doivent d’être soumises et obéissantes, de travailler dur au service de leur mari et de donner des fils.
Le film met par ailleurs en évidence le fossé profond qu existe entre les deux sexes. Là où les hommes se serrent les coudes et s’entendent pour réduire les femmes en esclavage, celles-ci sont elles incapables de faire front uni contre leurs bourreaux. Cela va même si loin que la belle-mère de Bai aide son fils et son mari à la déshabiller de force pour que le mariage soit consommé. "On doit toutes passer un jour ou l’autre par là", se justifie-t-elle ensuite. Elle-même est tellement résignée à son propre sort qu’elle n’imagine aucune forme de lutte ni de résistance, et attend de sa belle fille qu’elle en fasse autant. Les autres femmes du village, elles aussi achetées contre leur gré, sont à mi-chemin entre l’acceptation de la mère et la révolte de Bai. Comme le dit l’une d’elle, si elles s’enfuient, que deviendront leurs enfants ? Elles préfèrent donc rester. Et voilà comment le système se perpétue, faisant avec le temps de chaque nouvelle victime une complice.
La sécheresse de la mise en scène n’adoucit pas la force du propos mais en rend supportable la vision. Elle annonce aussi la violence de la conclusion qui est pourtant la seule manière possible de s’extraire de ce véritable cauchemar. Le cinéma chinois dénonce souvent en filigrane la condition des femmes dans les endroits les plus reculés du pays, mais rarement un film ne l’avait fait avec cette acuité mordante et cette rigueur. Qu’importent les temps morts ou les maladresses, on ne retient que le regard éperdu de la jeune Bai, interprétée par une Lu Huang époustouflante.
MpM
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