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Choix du public :
Nombre de votes : 43
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Southland Tales
Sélection officielle - Compétition
USA / sortie le 20.12.06
APOCALYPSE NOW
«- Il paraît que le futur sera bien plus futuriste qu’on ne le croit.»
Gonflé de sélectionner un tel film à Cannes tant l’ensemble est casse gueule. Aucune honte cependant à avoir car peu de cinéastes parviennent à maîtriser aussi bien un divertissement de 2 heures 30 sans jamais nous ennuyer. En revanche Richard Kelly nous embrouille. La première demi heure est aux limites de la confusion et de l’incompréhension. Les bonnes idées s’enchaînent, mais pas forcément harmonieusement. Sauvé par son sens du cinéma et cette magie propre à l’imaginaire, le film nous emballe, pied sur l’accélérateur, démarrant sur les chapeaux de roue. Mais au risque de déraper dans certaines montées ou de frimer sur des voies assez faciles. Cependant, en trombe jusqu’au final, Southland Tales nous tient en haleine et parfois à bout de souffle. Puisque le film raconte comment finit le monde.
En prologue, le début de la fin. Un bled du Texas (désormais Etat paria de la production américaine (de Shortbus à Over the Hedge). Un jour de fête nationale américaine. Barbecue et ballons. Et un gros champignon qui explose en guise de feu d’artifice. Un grand boum.
Transfert immédiat dans un futur proche (le jour des 46 ans de Tom Cruise), une année électorale. Guerre en Irak qui hante les jeunes. Agences fédérales qui contrôlent et surveillent chacun de nos gestes. Réchauffement de la planète. Los Angeles et sa culture mondiale, pop et décadente, a tout ce qu’il faut pour servir de décor à la fin du monde.
La force de cette fresque foutraque et chaotique tient dans ses quatre dimensions : le message politique, la fusion wahrolienne du casting et des personnages, le délire global de l’ensemble, le cinéma comme pilier de cette civilisation.
Southland Tales est une satire sur les obsessions, névroses, dérivatifs et aliénations américaines : le complot permanent, le diktat du pétrole, les élections truquées, le communisme haït, le sexe («la sodomie et la fellation sont une solution intéressante aux problèmes de reproduction»), la débilité des programmes télévisés, les armes et la violence, etc… Vade Retro Satanas. Sauf que Satan ici c’est l’Oncle Sam dans ce qu’il symbolise. Après Fast Food Nation, il est à noter que la Patriot Act devient l’ennemi public n°1. En bons « patriotes », les cinéastes se font une joie de le brûler. Kelly multiplie ainsi les références au Nazisme, jusqu’à ce Zeppelin géant… Il est moins subtil sur l’emprise des loisirs, de ce ludisme tyrannique grossièrement représenté à travers les jeux de rôles et le mélange réel / virtuel.
D’autant qu’il est parfaitement parvenu à mixer des acteurs plus icônes médiatiques que grands comédiens avec des personnages volontairement caricaturaux. American Idols dans un Big Brother « orwellien ». Le reality show est peut-être même la base de ce film. Une vie factice, illusion fantasmée, qui aveuglerait les gens et les aliénerait. Loufoques et dramatiques, ils tiennent tous la route, chacun dans leur « rôles » de caïd, sexy écervelée, asiatique sadique, … Tous les codes sont savamment utilisés et nous montrent à quel point l’image domine nos jugements en tant qu’humains et nos attentes en tant que spectateur. Aidés par des dialogues parodiques («Je veux pas être une bonne épouse, j’aime sucer les queues !»), Kelly joue au marionnettiste avec ses pantins articulés et désincarnés. Donc substituables. Ils sentent d’ailleurs tous terriblement mortels, mais, vainement, cherchent la sortie de secours. Un film d’auteur, est-ce une bonne issue ?
Le film de genre ne peut que séduire : du pastiche de science fiction à deux balles à Kill Bill, de Magnolia à Lynch, en passant par les Verhoeven, la farce est kitsch, scatologique, gothique, et se veut prophétique. C’est jour de carnaval. Sans le sens de la narration des œuvres précédemment citées, le plaisir est réel, le délire tout aussi dérisoire que ceux qu’il dénonce. Disons que Kelly plante un doigt (symbole omniprésent) dans le cul, comme pour mieux reculer (enculer ?) les limites imposées par un formatage hollywoodien qu’il rejette tout en reprenant toute sa syntaxe.
En remixant la mythologie américaine, il prouve surtout que cette civilisation passée d’un cinéma d’antan (les deux morceaux musicaux renvoient avec brillance aux fondements d’un 7ème Art nostalgique) à une télé superficielle et manipulatrice. L’auteur espère sans doute encore, avec plus d’optimisme que dans son film, que l’art, y compris le sien, peut sauver le monde. Mise en abyme certifiée où un scénario de série Z devient une prédiction avérée, où l’imagination fantaisiste se transforme en réalité subie, où un film peut nous charmer, comme un charlatan, ou nous faire réfléchir, comme un pédagogue.
Cependant, et c’est une des failles de Southland Tales, le libre arbitre, les libertés civiques et la Révolution ne sont que des mots, des postures, et manquent trop de profondeur et de défenseurs pour que nous puissions y voir un film vraiment politique, une œuvre réellement contestataire.
Disons cependant que cette création hybride, devrait pouvoir se trouver un chemin vers notre bonheur, entre nanar culte et chef d’œuvre d’anticipation.
v.
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