|
Nurse Betty 2000 / Etats Unis / Sélection officielle / Compétition / Projection le 12 mai 2000
|
|
|
|
|
Betty est serveuse. Elle aurait voulu être infirmière. Dans cette vie
médiocre, elle n'a qu'un soap opera comme pilule de bonheur ; elle rêve
par procuration avec Amour et Passion.
Mais une nuit, deux tueurs à gage viennent assassiner son mari. Au lieu
d'affronter, elle préfère nier cette réalité. Et fuir son traumatisme.
Betty va changer de vie, toujours à travers sa série TV favorite. Elle se
prend pour une infirmière et cherche son grand amour, le "Docteur David
Ravell".
Mais les deux tueurs la poursuivent...
|
|
|
|
|
|
| C'est la première sélection officielle pour Neil LaBute. Et une consécration pour ce remarquable observateur de nos névroses, des rapports
humains et urbains, de ces chocs sentimentaux qu'on a pu admirer (ou
détester) dans In Company of men puis dans Your friends and Neighbors.
Mais ce coup-ci LaBute voit plus grand : il enrôle des stars, il adapte un
scénario écrit par deux écrivains, il tourne à LA, et dispose enfin de
moyens finanicers conséquents. Il est désormais dans la cour des grands; si
on ne présente plus Morgan Freeman (présent sur la croisette dans Under
suspicion), Chris Rock (L'arme Fatale 4) ou encore Greg Kinnear (Pour le
pire et pour le meilleur), on notera la présence constante de Aaron Eckhart
(récemment vu dans Erin Brockovich), déjà enrôlé par LaBute dans ses autres
films, et surtout de Renee Zellweger. Elle a été révélée en jouant face à
Tom Cruise dans Jerry Maguire. Elle nous a séduit en tenant tête à Meryl
Streep dans Contre-jour. Elle sera la vedette du prochain film des frères
Farrelly (Mary à tout prix) en compagnie de Jim Carrey, son compagnon
hors-écran. LaBute cherchait une actrice à la fois pleine de bonté et
d'authenticité.
LaBute s'attache beaucoup aux couleurs du film, aux transitions, à des
décors symboliques (le Grand Canyon, Rome). De l'autre, il s'offre le
plaisir de tourner une cascade avec effets spéciaux et 7 caméras.
Pour les scènes de soap opéra "fictif", le réalisateur engage a productrice
et réalisatrice de General Hospital, la doyenne des séries à l'eau de rose,
afin de donner un maximum de crédibilité. Il s'est inspiré autant de G.H.
que des Feux de l'Amour.
Une histoire de femme, un risque pour un artiste de sortir de ses sentiers
battus, et un casting époustoufflant : Nurse Betty devrait détonner et nous
charmer. C'est le but.
|
|
|
|
|
|
| Cela fait longtemps que l'on suit avec intérêt les chroniques humaines de
Neil LaBute. La mysoginie de son premier film est ici contrebalancée par
une critique violente du mâle moderne. Et les rapports cyniques du second
film font place à une générosité permanente. Oeuvre féministe,
communautaire et séduisante, Betty Nurse est le premier film "positif" de
LaBute.
L'atout de ce film charmeur est dans le mélange des genres : thriller, road
movie, satyre, comédie, drame, romanceŠ avec un équilibre étonnant, le
cinéaste maintient le sujet de son film du début à la fin, sans faux pas et
avec un vrai sens du rythme.
Très proche de l'univers des Coen, Nurse Betty s'offre un casting royal et
des personnages tous plus déjantés les uns que les autres. Une grande
partie de notre plaisir provient justement de ces tarés, unis par un même
humanisme, une même compréhension des frontières entre morale et
schizophrénie, normale et marginale. Rien n'est bizarre, y compris dans
cette fugue (en mineur) un peu absurde, où l'héroïne fonce à travers un
pays virtuel, et vit dans un monde parallèle.
En fait, LaBute ne méprise jamais ses personnages, ni leur goût pour le
soap opéra. Cet esprit " goût des autres " permet à ce drame de la folie
ordinaire de flirter avec les bonnes répliques, les scènes inspirées et une
chimie autour des acteurs qui fonctionne.
Techniquement, le film se risque même à transposer "de manière très exacte
des épisodes de soap opéras sirupeux. Mais l'intérêt du film provient
surtout de l'impact de ces séries interminables sur les spectateurs. Cette
sorte de communauté invisible qui réunit des personnes de tous horizons. Un
peu rétro, beaucoup mélo, le cinéma se penche sur une autre industrie
d'images, qui fait rêver des millions de gens. Elle leur permet un
échappatoire mental, une évasion par procuration de leurs vies enchaînées,
qui s'avère dangereux si l'on tombe sur Betty. Le fan devient alors acteur,
la série se transforme en vie réelle. Miroir fascinant que tend LaBute à
des cinéphiles, des midinettes et des consommateurs d'images.
Cette serveuse capable de verser du café de dos, en regardant la télé,
marié à un abruti qui pense que le bowling devrait être discipline
olympique, voudra changer sa vie, et tenter sa chance. Il finira
sauvagement scalpellisé. Elle apprendra à se suffire à elle-même. Sans
mari, sans prince charman, sans père-ange gardien, Betty apprend à être une
femme non soumise et assumant sa propre existence.
En prenant l'adorable mais pas trop belle Renée Zellweger, douce enfant au
visage caméléon, le réalisateur américain s'offre une poupée middle-class
qui voulait être infirmière et rencontrer le Prince charmant ; ici un
personnage fictif. Son " coté sain à la Doris Day ", accentué de remarques
et des références au Magicien d'Oz, à Vacances , à Tootsie et même à Thelma
et Louise, fait l'éloge de la naïveté et de la gentillesse, avec deux anges
noirs exterminateurs aux trousses.
En brossant un portrait d'une Amérique profonde, quotidienne, poétique,
LaBute nous fait rire, nous touche et nous renvoie un beau constat sur une
société bouffée par des rêves inaccessibles, des désirs fabriqués par
d'autres.
Histoire semble-t-il incroyable, happy end de rigueur, Nurse Betty est un
merveilleux conte peuplé de cauchemars, à la Alice au pays des merveilles.
Film inévitable, il puise dans la parodie et l'itinéraire d'une femme
oubliée, dans ce mix de strass et de banalité, une inspiration
scénaristique réjouissante. Le premier coup de c¦ur du Festival 2000. Et
Neil LaBute prouve à quel point son regard sur ses contemporains est
aiguisé et curieux, et juste.
VCT
|
|
|
|
|