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The King is alive 2000 / Danemark / Projection à Cannes le 11 mai / Film en compétition dans la sélection Un certain regard |
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Onze passagers d’un car se retrouvent bloqués dans le désert africain. Réfugiés dans les ruines d’une ville abandonnée, ils ont tout juste de quoi survivre quelques jours. Pour lutter contre leur peur, ils décident de monter le Roi Lear ; mais la pièce, au lieu de divertir ces naufragés du désert, exacerbe tensions, rivalités et désirs sexuels. Très vite, chacun se voit confronté à ses besoins les plus primaires…
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| Difficile d’ignorer qu’il s’agit d’un film du Dogme:
toute projection de «The King is alive » est précédée
d’une confirmation officielle, assurant que le film a
bien été réalisé selon les règles de Dogma 95, le
fameux «Vœu de chasteté » prononcé par quatre
réalisateurs danois. Kristian Levring est le dernier
du lot à présenter un film issu de cet élan de
purification, après Lars Von Trier («Les Idiots »),
Thomas Vinterberg («Festen ») et Kragh Jacobsen
(«Mifune »).
Réalisateur de spots publicitaires, Kristian Levring
suit donc à la lettre les dix commandements de la
charte danoise, dont les plus connus sont
l’utilisation de la caméra à l’épaule et le refus de
tout artifice (lumière, couleur, décors, maquillage,
accessoires..). Comme l’explique le réalisateur, «il
s’agit de dépouiller le cinéma actuel de tous ses
aspects artificiels. Il s’agit de revenir à l’essence
du fictif ». Le scénario de son film se prête il est
vrai fort bien aux règles du Dogme, plongeant onze
bipèdes dans le désert africain. Difficile de faire
plus dépouillé…
Le film est tourné à Kolmanskop, une ville minière de
Namibie, à l’aide de trois caméras digitales qui
suivent onze comédiens vierges de toute expérience
Dogma. Américains (Jennifer Jason Leigh, Bruce
Davidson), Anglais (Janet McTeer, David Bradley),
Africains (Peter Kubheka, Vusi Kuhene) composent
l’essentiel du casting, aux côtés de la frenchie
Romane Bohringer.
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King Lear, fou du désert
«Ils venaient du désert
Ils avaient peur
Ils n’ont jamais cessé d’avoir peur »
Onze bipèdes dans un car, une boussole défectueuse,
800 kilomètres de détour et trois minutes pour sentir
la peur suinter chez ces touristes égarés. Le cadre
est fixé, le drame peut commencer. Comme chez
Shakespeare, le chœur introduit les différents actes,
en la personne de Kunana, vieil ermite du désert. Au
fil des jours (des scènes), la tension monte, les
trahisons se multiplient, les assassinats se préparent
et le désespoir gagne, à l’image des meilleures pièces
du maître anglais.
Si «King is alive » est efficace, ce n’est pas
seulement parce qu’il établit un parallèle passionnant
avec «Le Roi Lear », mais aussi parce qu’il raconte
une histoire faite pour les règles du Dogme : comme
ses héros perdus au beau milieu du désert, Kristian
Levring n’utilise que ce qu’il trouve sur place : une
ville abandonnée pour décor, quelques bouts de bois et
de tôle pour accessoires, la lumière crue du soleil
pour éclairage et onze acteurs, filmés au jour le
jour, brûlés par le soleil.
Le casting, international, n’a rien d’artificiel :
comme dans tout voyage, les nationalités se mêlent,
des couples se forment et d’autres se défont. Réduits
à leurs besoins les plus primaires, ces prisonniers du
désert se découvrent autant qu’ils se révèlent,
conduits aux actes les plus bas, corruption ou
assassinat. Pour autant, les règles classiques de la
vie en groupe sont habilement détournées par Kristian
Levring : très vite, un chef se détache du groupe,
mais il meurt aussitôt. Quant aux unions de fortune
crées par la situation, elles sont au mieux
désespérées, au pire vicieuses, de simples tensions
sexuelles brutalement assouvies.
La qualité de jeu des onze acteurs est pour beaucoup
dans la réussite du film. Mention particulière aux
femmes, qui révèlent une rare intensité. Romane
Bohringer, tout en silence et en jalousie contenue,
dévoile une nouvelle facette de son jeu ; Jennifer
Jason Leigh est simplement parfaite dans un rôle de
jolie pépée plus cynique qu’il n’y paraît, et Janet
McTeer s’impose décidément comme une actrice
bouleversante, méconnaissable depuis le «Tumbleweeds »
qui l’a révélée.
Oublions donc l’étiquette "Dogme" de «The King is
alive », pour se concentrer sur la qualité intrinsèque
de ce film, aussi fort que brillant.
Mathilde
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