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   spécial Cannes
 
 
 
Production : Zentropa Entertainement
Réalisateur : Lars Von Trier (« Europa », « Breaking The Waves », «Les Idiots »)
Scénario : Lars Von Trier
Photo : Robby Müller
Musique : Björk, Mark Bell
Montage : Molly Malene Stensgaard, François Gedigier
Durée : 149 minutes

Interprétation:
Björk (Selma)
Catherine Deneuve (Kathy)
David Morse (Bill)
Peter Stormare (Jeff)
Joel Grey (Oldrich Novy)
et aussi Stellan Skargard, Jean-Marc Barr

*** Site officiel ***
 

 Dancer In The Dark
2000 / Danemark / Projection le 17 mai / Compétition Officielle
 
Selma, émigrée tchèque et mère célibataire, travaille dans une usine de l'Amérique profonde, dans les années 60. Son salut, c'est sa passion pour la musique, surtout les chansons et les danses des grandes comédies musicales hollywoodiennes.
Selma garde un lourd secret : elle perd la vue et son fils Gene connaîtra le même sort, sauf si elle réussit à mettre assez d'argent de côté pour lui payer une opération. Quand un voisin surendetté accuse à tord Selma d'avoir volé ses économies, le drame de sa vie s'intensifie pour se terminer en apothéose tragique. Heureusement, un ange gardien veille; sa meilleure amie Kathy.
 
 
C'est le sixième film du plus grand réalisateur danois depuis Carl H.
Dreyer que Lars Von Trier admire particulièrement. Après une trilogie intitulé « E » qui portait sur la perte de l'identité et du récit, il a réalisé trois films aux histoires indépendantes inspiré d'un conte scandinave sur une femme au coeur d'or, « Breaking The Wave » Grand Prix du Jury en 1996 et « Les Idiots », long-métrage suivant les principes du « Dogme » dont il a été à l'origine avec d'autres cinéastes danois ; « Dancer In The Dark » est donc le troisième volet de Lars Von Trier sur ce thème. Une nouvelle fois, il est en sélection officielle à Cannes, où il y a présenté toute sa filmo.
Le film ne suivra pas les règles du dogme. Il s'agit en effet d'une "comédie" musicale, dont la chanteuse islandaise Björk a signé la partition, exploitant la technique dite Bullet-Time. Des minis caméras numériques filmaient la même scène. Cela permet ensuite de donner l'impression d'une image en 3D figée créant un effet onirique, les personnages donnant l'impression de flotter dans l'espace. Cette technique a été déjà employée dans le film « Matrix » et dans de nombreuses publicités ou clips dont ceux justement de Björk réalisé par Michel Gondry (par exemple « Joga »).
Le scénario de « Dancer In The Dark » exploite l'une des phobies de Lars Von Trier, la cécité. Son court-métrage de fin d'études « Nocturne » mettait déjà en scène une femme qui avait peur de devenir aveugle.
Son premier choix pour ce rôle fut Björk Gudmundsdottir, plus connue sous le nom de Björk, star de la musique contemporaine. Après une carrière dans le groupe pop islandais « Sugarcubes », elle s'est lancée dans une carrière solo. Après 3 albums merveilleux, mélange de techno, d'ambient, de chants traditionnels islandais, des clips magnifiques filmés par de brillants jeunes réalisateurs (Spike Jonze « Dans La Peau de John Malkovitch », Chris Cunningham et Michel Gondry), la belle islandaise se lance donc dans le cinéma signant la musique et tenant le rôle principal du film, celui de Selma. Pour ce rôle, elle a dû suivre des cours de danse et de claquettes pour figurer dans les chorégraphies de Vincent Paterson (qui a entre autre, chorégraphié les vidéos de Michaël Jackson et Madonna). Elle avait déjà une petite expérience dans le cinéma dans « Juniper Tree » de Nietzcha Keene, un conte filmé en 1987.
Le tournage a été assez tendu, les relations entre Lars Von Trier et Björk n'ayant pas été toujours excellentes comme cela est souvent le cas entre deux génies.
Car « Dancer In The Dark » c'est cela, le meilleur artistique de la Scandinavie, la rencontre entre l'un des plus novateurs des cinéastes contemporains et la plus grande chanteuse de la musique « Underground » actuelle.
Pour Deneuve, ce fut plus simple. A la suite de la projection de Breaking the waves, elle avait écrit à Von Trier son amour pour le film. Il s'en est souvenu et lui a offert le second-rôle du film, en anglais. Elle retrouve ainsi l'univers des comédies musicales, 36 ans après la Palme d'Or des Parapluies de Cherbourg.
 
POST-DEBUT

Ce film mériterait incontestablement la Palme d'Or. La charge émotionnelle qu'on ressent juste avant, pendant et surtout après le film est suffisamment rare pour être souligné, récompensé.
Lars Von Trier, avec toute sa maestria, a su manipuler nos sentiments, en jouant avec ses outils cinématographiques, sans forcément respecter les codes moraux du cinéma. Car il n'y a rien de conventionnel dans Dancer in the Dark, film tourné en vidéo numérique, de manière libre et parfois improvisée, et qui donne un aspect de super 8 familial très bien monté.
Tout commence avec une immersion dans le noir de la salle. La musique. Une symphonie qui transporte tous les spectateurs. "Share the experience Lars Von Trier", ça pourrait s'appeler. Nous allons participer à une aventure commune où la fin ne vous sera pas révélée, à la demande du cinéaste.
A partir d'un scénario précis, plein de rebondissements, de tensions, LVT raconte l'histoire d'une femme, d'une victime dans un contexte social ouvrier, avec un thriller en toile de fond. Le tout sous forme de drame musical. Il nous manipule dès le début en nous faisant croire à un making of hilarant où l'on assiterait aux répétitions. Jusqu'au moment où Deneuve fait "ouarf" sous la direction d'un metteur en scène fictif. L'actrice est une fois de plus admirable dans un autre registre, entre sensations brutes et sarcasmes drôles. La chimie opère étonnament bien avec Björk, petit elfe timide et secret, parfaite pour le rôle.
Von Trier reste cohérent avec sa filmo et clôt sa seconde trilogie avec un personnage aveugle, trop gentil, et touchant. Il y a une sorte de fatalité, voire de fatalisme qui habite cette maman prête aux sacrifices et culpabilisant d'avoir voulu être mère (alors que son fils allait aussi devenir aveugle). Il y a aussi une petite stupidité (qu'elle avoue au travers d'une chanson) née de sa gentillesse et son honnêteté, la conduisant vers des situations impossibles. Pour s'en sortir, elle danse virtuellement dans une comédie musicale. L'importance du film comme facteur du rêve, où comment les comédies musicales (ici Von Trier colore et trafique l'image pour donner un sentiment d'irréalité) sont là pour nous évader d'une sordide réalité.
La mise en scène de Von Trier, quant à elle, plus qu'efficace, n'a pas beaucoup changé : des plans saccadés, des découpages calculés (ex : la scène post-meurtre, près de la rivière), une caméra qui filme à l'épaule, cadrant les visages au hasard... et puis des chorégraphies dignes des clips vidéos du moment et des comédies musicales d'antan. Une véritable harmonie artistique entre les décors, les musiques, et l'image. Le plaisir augmente au fur et à mesure, parce que le suspens s'installe, mais aussi parce que chaque morceau de musique est attendu. Mélangeant la légéreté des apparences et la gravité des situations, il lorgne vers un Demy désenchanté en signant une tragédie plus proche de l'opéra que de la comédie musicale des années 30-40 made in Hollywood.
Ne serait-ce qu'utiliser la musique de Björk était une grande idée - intemporelle. Entre sons des années 90 et histoire des années 60, Dancer in the Dark est une vision onirique, lyrique, profondément européenne sur une société américaine et plutôt violente (c'est même sanglant quand il penche du côté hollywoodien : meurtre, procès, matérialisme, mensonges...).
Ce grand film, spectaculaire, entre évasion et émotion, flirtant avec les références, les genres et les décennies, est un vibrant hommage au cinéma, et au plaisir qu'il peut procurer quand il ose tout, y compris l'impossible. Rencontre incroyable de plusieurs talents qui ont chacun marqué leur époque, Dancer in the Dark nous brise contre des rochers avec son final, soudain et poignant. Silencieux.
Il ne nous reste alors plus que les larmes.

Vincy  

 
 
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