L'ABSURDITE PHILOSOPHIQUE" Dire qu'on a pensé qu'on se ferait du fric avec un raté crucifié ! "
Vous l'aurez bien compris, " Chansons du deuxième étage " se raconte difficilement. C'est un film-patchwork constitué de plusieurs scènes indépendantes qui participent pourtant d'une même unité homogène. Une sorte de film sur des vies qui devient finalement un film sur la vie.
Il débute fort avec une première scène irrésistible : un employé, en costume avec une serviette de cuir…et des sacs plastiques bleus en guise de chaussures, va voir son patron qui est en train de se faire bronzer aux ultraviolets, et qui lui annonce qu'il est licencié. Une scène plus tard, dans un couloir immense, il se traîne littéralement aux pieds de son chef qui, imperturbable, continue de marcher. Pendant ce temps, des portes s'ouvrent, laissant apparaître les têtes des autres employés curieux. Le ton délirant du film est lancé.
Ensuite, les scènes s'enchaînent, toutes plus farfelues les unes que les autres. Il y a le prestidigitateur qui rate son tour de magie et qui scie un volontaire issu du public. Il y a aussi, en plein salon dédié aux objets religieux, deux hommes qui discutent alors qu'en arrière-plan, un Christ grandeur nature se balance pendant de longues minutes en grinçant, car le clou de la main gauche a lâché. Et sans oublier le conseil d'état surréaliste lors duquel un membre prévoit l'avenir dans une boule en cristal ! Andersson excelle dans le délire en multipliant des sketches tordants.
Presque toutes les scènes sont tournées en plan large sans aucun mouvement de caméra. On pense à des tableaux d'Edward Hopper desquels on aurait ôté toute couleur pour n'y mettre que du gris. Les décors, d'un réalisme épuré et d'une ampleur colossale, concourent à créer une dimension étrange et grandiose. Le rendu est parfaitement fidèle à ce que voulait Roy Andersson : créer un univers hors du temps.
Dans ces tableaux intemporels, seuls les personnages se déplacent, laborieusement. Eux aussi ils sont gris et leurs visages sont fardés de blanc. On a l'impression d'être dans une sorte de pays stalinien dans lequel les personnages, à la fois tristement, absurdement et irrésistiblement ridicules, s'activent comme des automates. Tous ont de véritables faciès grotesques et leur présence, combinée aux décors, instaure une atmosphère surprenante et extrêmement originale.
Il ne faut pourtant pas s'arrêter au côté absurde du film. Il existe une véritable profondeur dans " Chansons du deuxième étage ". L'humour cache (et à la fois révèle) un grand désarroi. L'absurde des scènes est là pour mieux parler des hommes. En voyant le film, on a le sentiment d'être devant un Monty Python qui aurait une portée existentielle. Parce que Roy Andersson a un véritable sens de la cocasserie et de l'humanité. Et parce que pour lui, " l'humour est une question de vérité ".
Laurence