Chronique d’une mort annoncée
«Je ne suis vraiment plus sûr de grand chose en ce
moment»
Libération a un jour demandé à Edward Yang pourquoi
il filmait, et il a simplement répondu : «parce que
cela m’évite de parler ». On ne peut que s’en
féliciter, tant il sait si bien montrer ce qui se dit
difficilement.
A commencer par la vie, et ce moment délicat où
chacun se demande s’il n’est pas passé à côté de la
sienne, s’il a encore droit à une deuxième chance. Et
parce que l’âge n’est pour rien dans cette question,
Edward Yang pose sa caméra sur une famille en crise,
quatre générations de personnages troublés, luttant
pour comprendre.
Aidé par le naturel de ses comédiens -
non-professionnels pour la plupart- il livre un film
d’une grande beauté et d’une évidente simplicité.
Comme on tourne les pages d’un album-photo, Edward
Yang égrène mariages, naissances, souvenirs et décès,
mais aussi les petits détails de la vie, hasards, mots
d’enfants ou superstitions, qui donnent toute sa
poésie au film.
Le petit Yang-Yang est sans aucun doute le personnage
le plus attachant de «Yi Yi », lui qui photographie
les nuques des gens pour leur montrer ce qu’ils ne
peuvent voir. Il offre humour et dérision à un film
grave, qui réussit la performance de n’être jamais
long même s’il dure près de trois heures : simplement
parce que c’est notre image qu’il nous renvoie.
On pense beaucoup au «Garçon d’Honneur » de Ang Lee,
notamment dans l’irrésistible scène du mariage, mais
aussi à l’ensemble du cinéma asiatique moderne, obsédé par les
univers urbains. Comme chez Wong Kar-Waï, la ville
est omniprésente dans «Yi-Yi » et admirablement
filmée, de préférence la nuit, dans le reflet d’une
fenêtre.
Edward Yang nous offre donc un film à la fois humain
et esthétique, qui confirme la grande force du cinéma
asiatique.
Mathilde