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CEUX QUI M'AIMENT PRENDRONT LE TRAIN
Interview Patrice Chéreau
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Filmo
Ceux qui m'aiment... (98) |
Q « Ceux qui m'aiment prendront le train » est un titre attirant, troublant. Comment s'est-il imposé à vous? PC Cette phrase a été très tôt une des composantes du film, puisque nous somme partis avec Danièle Thompson, d'une histoire réelle qui, depuis, s'est dissoute et s'est transformée en autre chose. Un homme, un artiste ayant passé toute sa vie à Paris, décide de se faire enterrer à Limoges. Cette phrase qu'il prononce, « ceux qui m'aiment prendront le train », est une injonction posthume aux survivants: si vous m'aimez, vous pouvez bien sacrifier une journée de votre vie pour m'accompagner jusqu'à ma dernière demeure. Elle établit aussi un tri implicite entre ceux qui prendront le train et ceux qui ne le prendront pas. J'ai entendu cette phrase et j'ai eu envie de la prendre pour titre; elle est longue, mais mystérieuse, elle claque comme un ordre - un ordre somme toute assez doux -, elle installe une compétition entre les survivants et c'est de cela dont parle tout le film. Il parle assez peu de cette personne qui a disparu, il parle des vivants surtout, des héritiers, des descendants, des fils putatifs, de la famille que cet homme s’est fabriquée contre vents et marées et qu'il a dû régenter tyranniquement.
Q Le film, avec ce mort si présent, va tout le temps vers la vie.
Q Pourquoi tous ces gens qui se rencontrent là et qui ont été concurrents pour la plupart dans l'affection ou l'amour du disparu sont-ils en crise? |
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Q Techniquement, tourner dans un train, n'est-ce pas très difficile? PC Un peu, d'autant que cela a duré quatorze jours. Nous partions le matin à 7 heures pour Mulhouse - La SNCF loue toujours cette ligne pour les tournages de films - et nous ne rentrions que le soir. En même temps, c'était extraordinairement dynamique. Les films qui se passent dans des trains sont toujours très dynamiques, même lorsqu'ils sont réalisés en studio comme « L'Inconnu du Nord-Express » ou « Une femme disparaît », toujours, il y a un élan formidable: on va vers les problèmes, ou vers les solutions, on va vers quelque chose. Le train, c'est un huis-clos qui se déplace, un moteur idéal, un accélérateur de narration. Il va au rythme de la pensée. Voilà: le train c'est vraiment comme la pensée, une pensée en mouvement. Nous n'avons tourné en studio que pour deux scènes, l'une dans les toilettes parce que nous n'avions pas le recul nécessaire pour filmer et une autre fois au moment du départ avec la petite fille qui circule au gré des wagons. C'était un peu moins drôle. Non, le vrai plaisir a été de tourner dans le vrai train avec le vrai défilement du paysage qui courait de chaque côté des wagons, les vrais changements de lumière sur les visages. C'est ce qui était vraiment émouvant à capter. Et ce projet un peu fou, je n'aurais jamais pu le mener sans Eric Gautier (le chef-opérateur), qui m'a permis de réaliser les deux-tiers du film en cinémascope et caméra à l'épaule, ce qui est un peu une prouesse technique. Il m'a laissé jouir d'une incroyable et dangereuse liberté, et de tenter ainsi de capturer et de maîtriser les sautes d'humeur de mon film.
Q Tous les comédiens du film sont remarquables, et semblent éprouver une grande joie à jouer.
Q Après le tournage de la « Reine Margot », ne vous êtes-vous pas senti un peu fatigué par le cinéma?
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