1991
Barton Fink de Ethan COEN, Joel COEN (E.Unis) |
Malgré toute l’admiration que je voue à Barton Fink, le meilleur film des frères Coen à mon avis, je ne peux m’empêcher de penser que ce n’était pas, en cette exceptionnelle année que fut 1991, le meilleur prétendant à la convoitée palme. Certainement l’une des compétitions les plus remarquables observées depuis l’existence du festival, on y comptait au moins trois oeuvres supérieures au long métrage des Coen, tant par leurs qualités esthétiques et leur profondeur que par leur capacité à traverser l’épreuve du temps.
On a qu’à songer au chef-d’oeuvre de Kieslowski La Double Vie de Véronique (qui aurait dû, logiquement, l’emporter) ou encore au magnifique Le pas suspendu de la cigogne de Angelopoulos, et enfin mon favori, l’impressionnant Europa de Lars Von Trier. Que l’on ait à juste titre accusé Roman Polanski, alors président du jury, de népotisme dans sa sélection (non content d’attribuer la palme à Barton Fink, on l’a également couronné des prix de la mise en scène et d’interprétation masculine) n’est guère surprenant, tellement le film des Coen affiche une parenté indéniable avec Le locataire, que le cinéaste d’origine polonaise a réalisé en 1976. Ceci étant dit, et pour ne rien lui enlever, Barton Fink demeure une oeuvre forte et originale, qui propose une réflexion brillante sur la gestation créatrice, en plus de brosser l’un des plus vitrioliques portraits d’Hollywood jamais vus. Y allant de sa virtuosité peu commune, le duo de frangins signe une mise en scène à la fois contrôlée et expressionniste, qui part d’un certain suspense psychologique pour verser ultimement dans un surprenant fantastique. C’est là que réside toute la richesse du film. Ce triomphe de l’imaginaire, celui de l’homme moyen qui entraine Barton Fink dans sa démence, s’avère également celui du cinéma. Rarement aura-t-on effectivement vu autant de subtilité réflexive renvoyer à une aussi belle métaphore du septième art. Si l’acte de regarder est maintes fois invoqué et mis en situation, par exemple dans l’extraordinaire grue d’ouverture qui débute du plafond d’une scène de théâtre pour se terminer sur le visage extasié de John Turturro devant son moment de gloire, soit la représentation de sa pièce, on retiendra surtout la manière dont les cinéastes insèrent, presque imperceptiblement, la prise de vie de l’objet de fantasme du vaniteux auteur: la photo suspendue dans sa chambre d’hôtel. En s’animant, cette image confine Fink à son imaginaire retors. Dans cette perspective, il est peu surprenant de voir, dans les derniers plans du film, le protagoniste carrément propulsé à l’intérieur du cadre de ses fabulations, comme l’on se projette dans un film. Symbole d’une laborieuse conquête créatrice, mais aussi peut-être d’un irrévocable isolement psychologique, l’énigmatique fin de Barton Fink en fait sans ambages un film passionément schizophrène. |
© Volute productions 1997
© Hors Champ 1997