1989
Sex, Lies,
and Videotapes

de Steven Soderbergh
(E.Unis)

Gros plan sur l'année 1989
Les Prix et Jurys

Rappelez-vous, c’était l’année de Jésus de Montréal, où tous les espoirs d’une palme d’or québécoise étaient permis. On a préféré la donner à ce premier film d’un jeune cinéaste américain, qui allait dire, en acceptant le trophée: "Well… I guess it’s all downhill from here!". Presque prophétique (le parcours de Soderbergh s’avère pour le moins inégal depuis, mais reste intéressant grâce à son éclectisme), cette phrase du réalisateur traduisait d’emblée la pression qui pesait dès lors sur ses épaules. D’une compétition axée sur la jeunesse (on y trouvait, à part le vainqueur, Sweetie de Jane Campion, Mystery Train de Jim Jarmush, Do the Right Thing de Spike Lee, Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore et Le temps des Gitans de Emir Kusturica, déjà «palmé» en 1985), on retenait Sex, lies, and videotapes pour en faire le porte-étendard mondial d’un nouveau cinéma à l’orée des années 90. Sans compter que ce choix s’est imposé en dépit de la présence du remarquable et très «palmable» Pluie Noire de Shôhei Imamura. Grosse commande!

Narrativement aussi simple, de prime abord, que son titre l’indique, sex, lies, and videotapes cache, sous son vernis un peu froid et distant, le brillant esprit disséqueur de Soderbergh, qui examine lucidement l’état des relation hommes-femmes à travers le cheminement d’une épouse bourgeoise et frigide. Au contact d’un vieil ami de son mari, celle-ci s’ouvre alors en lui confessant, sur vidéo, ses frustrations et fantasmes sexuels. Un geste libérateur pour la femme trompée qui aura des répercussions dévastatrices sur sa vie et celles de ses proches. Sorte de croisement entre Teorema de Pasolini et Next of Kin de Egoyan, le long métrage de Soderbergh exploite la vidéo pour en dénoncer le pouvoir médiateur et manipulateur, mais aussi pour dresser une critique d’un certain mal des communications à l’aube d’une nouvelle révolution technologique (que vient confirmer la frénésie actuelle des échanges de courrier électronique et autres tractations sur Internet).

A l’instar de l’intrus qui s’immisce dans (puis transforme) l’intimité des femmes pour mieux sceller son retrait sexuel (il se masturbe en visionnant ce qu’il filme), la caméra pénètre une réalité qu’elle ne peut laisser intacte. Cette mise en scène amène en bout de ligne à une mise en abîme, qui provoque la mort d’un monde et facilite l’émergence d’un nouvel ordre. Presque sournoisement, Soderbergh aura réussi à installer une tension, érotique et psychologique, qui laisse sur le spectateur une indélébile impression de malaise, d’ambiguïté et de désarroi.

Alain Dubeau


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