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| BLIND DATE
Dans de nombreux films de la sélection - O Brother, Dancer in the Dark, ... -
les aveugles avaient la vedette. Et après une trentaine de films, nos yeux
fatiguent et les images défilent, fusionnent, se mixent dans nos têtes. Il
n'y a pas que le kyné qu'il faut aller voir après Cannes (être tordu dans
son siège de cinéma durant 8 heures par jour casse un peu le dos) mais
aussi l'ophtalmo prêt à vous faire une leçon de morale. Cannes a des effets
qu'on n'imagine pas.
Le dernier dimanche, la Croisette se désemplit, les gueules de bois se
remettent de la soirée Taxi 2 / The Dancer de l'ARP, le marché est fermé,
les trains et les avions sont complets, on rattrape les films manqués, et
le grand jeu des festivaliers est de pronostiquer le palmarès.
Loin du cinéma, la Télé du Festival passe et repasse les images des dix
derniers jours, vidant de sa substance deux semaines intenses et
passionnées. Il y a beaucoup de point commun entre le Festival et le
(mauvais) film de clôture. Pas seulement sa charge anti-top model, aussi
ironique que cynique de la part de Cannes, sponsorisé par L'Oréal, parce
qu'il le vaut très cher. La télé telle qu'elle est montrée dans " Stardom "
est un ogre cruel et stupide qui dévore les images les plus futiles, débite
les discours les plus débiles, et ne s'intéresse surtout pas à l'Art.
On nous montre quoi, une fois sorti du Bunker ? Deux mecs en train de se
castagner, pour de rire, sur le ponton d'un Palace ; une interview fleuve
d'un top model ; des photos call à répétition, où les flashs crépitent, où
les photographes hurlent, où les acteurs/actrices sourient et certaines
prennent la pose comme de vulgaires starlettes ; une interview courte d'une
comédienne qui vire à la Télé Ragots ; le parcours d'une artiste qui n'a
rien à voir avec le cinéma, en long, en large, en travers, et non stop : et
tout savoir sur le personnel (CGT certainement) d'un grand hôtel. Dans le
même temps, les télés absorbent des kilomètres d'images, squattent les
stars, et le tout pour n'en garder que dix secondes, et une phrase choc, ou
simplement un bonjour de la main... bref trois fois rien.
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| La télé broie le Festival dans un mixeur qui va nous livrer un jus
survitaminé, mais pas du tout consistant. Et le dimanche, on a le droit à
la compil' de ces images insensées et dénuées de significations, à ces
commentaires superficiels et agaçants, à ces reportages filmés façon MTV.
On en apprend plus sur les musiques à la mode que sur les films du Festival.
Heureusement, il y a la presse écrite, qui se presse, c'est le cas de le
dire, dans les salles, et donnent son avis sur tout, donnent des arguments
pour justifier le grand intérêt de la mise en scène de la souffrance
d'Esther Kahn ou le désaccord profond sur la démagogie facile de Dancer in
the Dark. Cannes n'est pas qu'un show d'un business en voie d'expansion ou
d'un art en voie d'extinction, c'est selon, c'est aussi, miraculeusement,
un lieu où les fauteuils claquent de dépit en pleine projection, où les "
hou " se disputent aux bravos au moment du générique final, où les
conversations s'alimentent autour des casiers de presse (à quand la
numérologie des médias selon le casier, par Mlle Agnès?!).
Si vous voulez vraiment être hype, ce n'est pas avec Stormy Bugsy ou
Laatitia Casta que vous le serez. Pour être branché, il faut savoir quel
film fera parler de lui dans les prochains mois. Quel cinéaste a la cote,
et quel autre déçoit.
Et d'ores et déjà, on devine que la Palme d'Or sera très Palme d'Orient. Le
Palmarès devrait récompenser le cinéma venu d'Asie, le plus imaginatif, le
plus esthétique, le plus fascinant de la saison. Pour être " in ", ce n'est
ni un Palm (pilot), ni la Palme (d'or) qu'il faut avoir. Ce n'est pas
bronzer sous les Palmiers ou manger des Palmittos. C'est juste être " In
the mood ", et se dire que ce sera aussi bien l'an prochain, même sans
soirées, sans glamour, sans télés, sans sponsors. Un rendez-vous à
l'aveugle, d'années en années. RV en mai 2001.
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ORIENT EXPRESSCe que l'on retiendra de ce palmarès " coup de coeur ", c'est la
consécration du cinéma asiatique, 7 ans après la première Palme d'Or
chinoise, 3 ans après la seconde palme du japonais Imamura (déjà remise par
Deneuve) et du Prix de la mise en scène à Wong Kar-wai.
3 films Iraniens (deux caméras d'or, un prix du jury), qui confirment la
maturité d'une nouvelle génération de poètes luttant pour la démocratie. Un
Grand Prix chinois, un Prix de la mise en scène pour un taiwanais, un Prix
d'Interprétation doublé d'un prix de la CST pour le hong-kongais Kar-wai,
ou encore la Palme d'Or du court métrage pour un Philippin. C'est une
razzia. Même si l'on peut regretter l'absence du sud coréen Chunhyang (en
prix de la CST il était parfait), même si nous aurions préféré inverser le
prix d'Interprétation masculine (Tony Leung) et le Grand Prix (Guizi Lai
Le) en faveur du Kar-wai, le jury n'a fait que confirmer la force d'un
cinéma de plus en plus riche.
C'est un échec pour le cinéma occidental, que ce soit les auteurs qui ne se
renouvellent pas et se banalisent ou les productions françaises
prétentieuses ou trop ambitieuses, mais en tout cas inégales ou chiantes.
Seul l'exotisme a payé : la vision foisonnante du russe Lounguine (avec son
casting) ou l'humour absurde de Andersson (avec un Prix du jury). Neil La
Bute est le seul rescapé avec son scénario brillant, et populaire. Il
rappelle Grosse Fatigue, dans le ton, et donc dans sa place au Palmarès.
Le choix fut dur, et le jury s'en sortit avec des lauriers. Un cru de cette
qualité, qui éveille autant de curiosité, a forcément ses perdants, ses
injustices, et parmi elles Fast Food Fast Women.
Mais, que ce soit pour le superbe et si juste Yi Yi, ou l'irréprochable
Tableau Noir, le jury a su communiquer ses passions, même les plus
contradictoires.
Tout cela a porté en triomphe une petite chanteuse islandaise et un
cinéaste danois ultraphobique vers un double prix, dont la Palme d'Or, pour
le film Dancer in the Dark, notre favori de l'année.
Lars Von Trier, par ailleurs récompensé par le Digima's Award en mars
dernier au FIFI, devrait connaître une très belle année. Il était ironique
et tellement logique que la marraine du film, son ange gardien, soit là
pour ce succès, que Cannes peut célébrer son édition 2000 sans honte ni
scandale. On est pour le coup, Happy Together.
Gilles Jacob va désormais passer le relais. Avec un petit air enchanté.
It's so quiet... jusqu'à l'an prochain.
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