1973
Scarecrow L'épouvantail de Jerry Schatzberg (E.Unis) |
Avec Scarecrow, le réalisateur Jerry Schatzberg continue l’étude des petits truands de l’Amérique moyenne, qu’il avait commencé avec The Puzzle of a Downfall Child(1970) et Panic in Needle Park (1971). Scarecrow fait partie de la riche tradition américaine de films narratifs se concentrant sur une quête géographique et humaine (le pittoresque en littérature, le road movie au cinéma). On the Road de Jack Kerouac (1957) vient à l’idée, mais c’est Of Mice and Men (1937) de John Steinbeck qui s’avère le roman déclencheur de la pensée de Schatzberg, une touche voltairienne (Candide, 1759) se joignant au tableau des influences du réalisateur (le périple de Candide à travers un monde haineux).
Le film commence en force, avec le fomat anamorphique (2:35-1) Vilmos Zigmond d’un étranger solitaire, en plan général, s’avançant doucement vers la caméra. L’image parle d’elle-même, les références aux classiques Western de Ford et Leone étant évidentes. Max (Gene Hackman), habillé de façon douteuse, se faufile à travers une clôture de barbelés séparant l’herbe (le passé) de la rue (le futur). Lion (Al Pacino), un homme à l’allure dérangée, voire illuminée, observe ce «passage», près d’un arbre. Avec son caractère particulier et son humour décapant, Lion entame la conversation; Max accepte malgré lui ce nouveau compagnon de voyage.
Le film suit les tribulations de ces deux frères de sang improvisés, qui traverseront les États-Unis d’ouest en est (renversant le périple habituel qui consiste à partir de l’est pour se rendre vers l’ouest), partant de la Californie pour se rendre à Détroit. Max et Lion ont été isolés de la société, le premier servant une peine de prison de six ans, le second traversant les océans du monde pendant cinq ans. Ils affrontent le monde ensemble, et leur complicité se transforme vite en amour platonique. Le physique brut de Max peut, parfois, être dégoûtant. Hackman interprète à merveille son personnage lorsque, lors d’un souper accompagné par Lion et de leur deux copines, Max, dans un état avancé d’alcool, mange voracement enjoué des morceaux de poulet frit, parle la bouche pleine, rote, élève sa voix, enrage, et frappe la table à manger de son poing. Ce qui fait de Max un anti-héros américain classique, c’est que son utilisation de la violence, à l’instar du Western classique, est une réaction à une objection morale. Malgré son tempérament fumant, il demeure courtois et généreux. Ces personnages poursuivent leur aventure à la prison de Canyon City, alors qu’ils doivent demeurer incarcérés pendant six mois, ayant enfreint la loi. Lion se lie d’amitié avec Jack Riley, un autre prisonnier, mais Lion ne comprend le véritable motif de Jack... Après quelques verres, Jack fait quelques avances à Lion qui, surpris, croit à une plaisanterie. Lion résiste aux assauts répétés de Jack, qui essaie de le violer, mais se fait sévèrement battre. Max, le protecteur («I can tear the ass of an elephant!») venge l’honneur de Lion, Jack étant pris au piège alors qu’il réalisait des corvées d’entretien. Pour contraster la morale de la violence, Schatzberg filme la première rixe en plans extrêmement serrés, la seconde dans une plongée dramatique pour nous distancier de la violence de Max. Leur périple inclut un arrêt à Détroit, Lion recherchant sa copine Annie et l’enfant qu’il a abandonné cinq ans auparavant. Sa visite se transforme en tragédie quand sa copine, mécontente, mariée et surnommée «Mrs. Joey Banana King», lui ment en lui disant que son enfant est mort-né de par sa faute. Lors de leur conversation téléphonique, l’on peut voir un enfant aux cheveux foncés tout près de sa mère, prouvant hors de tout doute qu’elle ne veut plus revoir Lion. Plus tôt dans le film, Lion visite une église (où l’on entend une trame sonore faisant faiblement allusion à celle du Godfather!). Il est évident qu’Annie se sert de la dévotion de Lion envers Dieu pour le blesser. Lion essaie, mais en vain, de bloquer son mal et son sentiment de culpabilité. Dans une scène subséquente, Lion craque dans un parc et mène un jeune garçon dans une fontaine, la mère du petit garçon étant terrifiée. Ce baptème symbolique débalance Lion qui s’écroule, crise de nerfs, catatonie et hospitalisation s’en suivant. Comme dans Of Mice and Men, les personnages n’atteignent pas leur idéal. Le but matériel est toutefois remplacé par un gain spirituel et humain. Max et Lion grandissent et apprennent de grandes leçons dans cette tragi-comique aventure. Une scène dans un bar s’avère le point tournant de la métamorphose de Max. Il transforme une potentielle bagarre en strip tease ludique, ses adversaires bouche bée ne pouvant que s’avouer vaincus devant tant de «sagesse». Max devient l’épouvantail pacifique dont Lion fait l’apologie au début du film, un danseur et non un boxeur. Pour cette scène, Schatzberg fait appel à l’intime et au réalisme en utilisant des acteurs amateurs (en l’occurrence, les véritables propriétaires de l’établissement), et filme leurs mimiques, leurs rires avec quelque petits panoramiques et une gros plan en téléphoto. Scarecrow est un road movie humaniste, qui se classe facilement parmi les classiques américains tels que Wild Boys of the Road (1933), Easy Rider (1969), Butch Cassidy and the Sundance Kid (1969) et Midnight Cowboy (1969). Scarecrow peut aussi être vu comme un formidable précurseur à une autre Palme d’Or, celle de Wim Wenders Paris, Texas (1984). Comme dans Scarecrow, Paris, Texas s’ouvre sur un personnage perdu dans un environnement déroutant. Wenders fait même traverser son anti-héros Travis (Harry Dean Stanton) à travers une clôture de barbelés, comme le fait Max. Une allusion comique au «Rêve américain» de Max est implicite lorsque Travis croise un néon immense sur lequel est écrit: Car Wash. Lion ressemble à Travis en quelques aspects. Les deux personnages cherchent leur femme et leur enfant; et où Travis commence son aventure en tant que catatonique, Lion, lui, la termine de cette façon. |
© Volute productions 1997
© Hors Champ 1997